Description:
Comment la morale serait-elle légitime après que l’histoire du xxe siècle a mis en cause le « progrès de l’humanité », le « sens de l’Histoire » et les « grands récits » qui les accompagnaient, après que l’organisation même des génocides, justifiée par des valeurs « morales » et des « raisons scientifiques », a altéré l’humanité même de l’homme ? Les romans de Gisèle Bienne et de Scholastique Mukasonga se situent hors de la morale instituée puisqu’ils affrontent l’expérience de l’inhumain. Les Paysages de l’insomnie de Marcel, revenu de la Première Guerre mondiale, sont hantés par les fantômes de ses camarades morts : il a perdu l’estime de soi et la capacité d’insérer ses actes dans la vie collective. Son expérience l’a séparé des siens : il reste « tenu au silence » face à celles qui restent du côté de la morale catholique et nationaliste. L’étrange solitude de Manfred Richter, ancien prisonnier nazi, et son silence, sont dépassés quand il transmet à Hélène, vingt ans, une leçon éthique contre l’ordre moral existant. Inyenzi ou les Cafards de Mukasonga aborde le génocide au Rwanda du point de vue d’une exilée tutsie dont la famille a été massacrée au nom de la morale chrétienne, républicaine et socialiste. La littérature, par son ironie, éclaire l’hypocrisie et la lâcheté. Notre-Dame du Nil va à la racine de la catastrophe : le mythe hamitique, inventé par les Européens, s’est transformé en cauchemar racial, orchestré par l’Église. La fiction ironique de Mukasonga est libératrice car elle s’oppose aux discours pesants des idéologies. Pour les personnages de ces quatre romans, l’Histoire n’est que mensonge, chaos, cruauté ; ils ne peuvent croire au sens de l’Histoire, mais la lucidité et l’ironie des romans donnent du sens à leur expérience humaine. De plus, les romans renouent les échanges sensibles entre les humains et avec le monde.